Haiti | Fête du Drapeau- Le CPT et Fils-Aimé : sur les traces d’Ariel Henry dans la fuite d’Arcahaie

0
3


L’Edito du Rézo

18 mai sans Arcahaie : la mémoire nationale reléguée à la périphérie

Le parcours du gouvernement de transition, placé sous l’autorité nominale de Fritz Alphonse Jean, s’inscrit dans une longue série d’échecs à la fois géographiques, symboliques et moraux. Suivant fidèlement la trajectoire d’Ariel Henry – désormais en exil, après une gouvernance aussi vacillante que son épine dorsale –, le Conseil Présidentiel de Transition, surgissant du néant institutionnel, et son Premier ministre de facto, Alix Didier Fils-Aimé, évitent soigneusement l’Arcahaïe. Ce territoire, abandonné depuis 2022 aux mains d’acteurs armés incontrôlés, ne figure plus que comme un souvenir embarrassant dans le récit officiel. Il est désormais exclu des itinéraires gouvernementaux, au profit de déplacements plus convenables, – avèk gwo per diem – et surtout plus sécurisés. Ainsi, le 18 mai 2025, c’est au Cap-Haïtien que l’on feindra de célébrer le drapeau, loin du cœur battant de la mémoire nationale.

Mais que célèbre-t-on réellement ? La désintégration méthodique de la mémoire collective ? La désertion du territoire au profit des groupes armés terroristes fédérés par le régime PHTK, le porteur du referendum tant aimé par Fils-Aimé ? Ou peut-être la remarquable capacité de nos gouvernants à maquiller leur impuissance en cérémonial républicain ? À ce stade, la fête nationale n’est plus qu’une mise en scène dissonante, orchestrée par des hommes qui n’ont ni prise sur le réel ni ancrage dans l’histoire.

À l’image d’un Fils-Aimé, dont la tentative pas plus tard que vendredi dernier de faire passer un référendum hors-sol illustre le divorce entre la parole gouvernementale et la réalité sociale, le pouvoir actuel s’apprête à festoyer le 18 mai comme si le 11 n’avait jamais existé. La symbolique nationale, vidée de son contenu, se mue en diversion opportuniste. Le secrétaire d’État à la Communication, Bendgy Tilias, l’a confirmé avec une fierté quasi liturgique : le Te Deum traditionnel aura lieu, non à l’Arcahaïe, berceau du drapeau, mais dans la cathédrale du Cap-Haïtien. Il faut croire que même les prières ont désormais une préférence pour les zones de confort.

Ce déplacement n’est pas neutre. Il révèle une stratégie du repli, une volonté manifeste d’effacer la géographie de la mémoire au profit d’un théâtre d’apparences. Peut-on réellement méditer sur les défis de la République dans un édifice sacré devenu décor de convenance ? Et de quels défis parle-t-on ? D’une corruption institutionnalisée ? D’une connivence structurelle entre pouvoir politique et chefs de gangs ? D’une souveraineté effondrée, où même les routes nationales sont devenues frontières ?

Non, monsieur le secrétaire d’État, votre équipe n’a pas gouverné. Elle a fui. Le 18 mai ne se commémore pas dans un sanctuaire improvisé, mais sur la terre même où le drapeau fut imaginé, cousu, élevé comme symbole de liberté. Cette terre, vous l’avez désertée. La mémoire, vous l’avez trahie. La parole publique n’a plus de poids. L’échec ne réclame plus de discours. Il appelle des départs.

Faut-il voir dans ce déplacement une stratégie de survie politique ou simplement un renoncement complet à l’héritage de nos ancêtres ? À éviter Arcahaie, c’est non seulement l’insécurité qu’on esquive, mais également le devoir de mémoire. D’un côté, un territoire livré aux milices, de l’autre, une mise en scène creuse, construite à distance, loin de toute authenticité historique.

Il y a là une ironie tragique : ces figures politiques, réfugiées dans un Nord pacifié, prétendent incarner une nation en résistance, tout en tournant le dos à son espace fondateur. Le silence d’Arcahaie, ce territoire désormais relégué, en dit plus long que tous leurs communiqués. Car à fuir systématiquement la réalité, on ne fait que confirmer ce que le peuple sait déjà : on n’a plus ni projet, ni autorité, ni légitimité.

Quant au budget alloué à cette grande évasion patriotique, qui le saura ? Peut-être personne. Mais là encore, le silence tiendra lieu de méthode.



Source link