Haïti et le Saint-Siège : Une relation à renouveler

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Le lundi de Pâques de cette année 2025, le monde entier s’est réveillé avec la triste nouvelle du décès de sa Sainteté le Pape François, de son nom complet, Jorge Mario Bergoglio. C’était un grand ami d’Haïti. Le premier Pape à offrir un cardinal au peuple Haïtien. Mgr Chibly Langlois, né à la Vallée de Jacmel, le 29 novembre 1958, a été créé cardinal le 22 février 2014.

Dans l’Église universelle, le cardinalat n’est pas un ordre liturgique. Par conséquent, il ne fait pas l’objet d’une ordination sacramentelle. C’est la raison pour laquelle un cardinal n’est pas ordonné ; il est créé. Les cardinaux sont les conseillers les plus importants du Souverain Pontife et ils lui apportent leur soutien dans la gouvernance de l’Église. En tant que corps, l’une des tâches essentielles du collège des cardinaux est l’élection d’un nouveau Pape. Pour cela, ils se retirent à la Chapelle Sixtine, coupés de toute communication avec l’extérieur. C’est le conclave.  Seuls les cardinaux âgés de moins de 80 ans peuvent participer au conclave. Une cheminée est alors installée sur le toit de la Chapelle Sixtine pour aviser les fidèles rassemblés sur la Place Saint-Pierre et ceux qui suivent à distance, via les moyens de communication, l’élection du nouveau Pape. Une fumée noire indique qu’un vote a été réalisé, mais aucun cardinal n’a été élu. Tandis qu’une fumée blanche indique que les cardinaux ont trouvé un accord sur celui qui deviendra le prochain Pape.

Depuis 165 ans de relations diplomatiques entre Haïti et le Saint-Siège, l’Église d’Haïti n’a toujours pas obtenu un siège cardinalice permanent. Cela témoigne d’une médiocre représentation diplomatique du pays. Cette responsabilité est partagée entre l’État et l’Église, co-gérante de la relation avec le Vatican.

Pourtant, les occasions d’obtenir un siège cardinalice n’ont pas manqué. Il faut se rappeler que le président François Duvalier,dans sa vision de politique extérieure, avait voulu réviser les relations diplomatiques d’Haïti avec le Saint-Siège. Il était déterminé à faire émerger un clergé autochtone. Dès le début des années 60, on assiste à une détérioration des rapports du président avec l’Église locale, composée d’un clergé français. Il s’en est pris tout d’abord aux Jésuites, qu’il expulsa du pays en 1964. Il ferma la Villa Manrèse, puis le Grand Séminaire, qui formait les prêtres haïtiens sous la direction des Jésuites. Il expulsa l’archevêque de Port-au-Prince, Mgr François Poirrier, ainsi que son coadjuteur, Mgr Rémy Augustin. La congrégationdes Spiritains a également été expulsée. Le Saint-Siège réagit en excommuniant le président Duvalier. Ce bras de fer s’est soldépar l’acceptation du Vatican d’accorder au président de la République le droit de nommer les archevêques et les évêques, conformément aux dispositions de l’article 4 du concordat de 1860. Cependant, en 1983, lors de sa visite en Haïti, le président Jean-Claude Duvalier renonça à ce privilège pour se montrer favorable au Pape Jean Paul II et pour témoigner sa révérence et ses bonnes dispositions envers la Sainte Église. Vu l’importance que le Vatican accorda à la nomination des évêques, le président Duvalier avait l’opportunités d’obtenir un siège cardinalice en contrepartie. Il ne l’a pas réclamé.

Un peu plus tard, après le renversement du président Jean-Bertrand Aristide, le Saint-Siège a été le seul État à reconnaître le régime militaire issu du coup d‘État sanglant du 30 septembre 1991. Ce positionnement reflétait son profond désaccord avec la politique du gouvernement d’Aristide et de ses prises de position lorsqu’il était curé de paroisse. Le père Aristide était l’un des fers de lance de la « théologie de la libération » en Haïti. Il contrôlait les TKL (Ti Kominote Legliz) autrement dit, les Communautés Ecclésiales de Base. Le Vatican les percevait comme un signe de division au sein de l’Église. L’analyse marxiste à la base de la « théologie de la libération » dérangeait la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ce courant de penséequi a pris naissance en Amérique latine a été critiqué par Rome pour sa tendance à réduire la libération chrétienne aux libérations socio-politiques. Pour éviter que cette nouvelle doctrine ne provoque un schisme dans l’Église, le Pape Jean Paul II nomme en 1981 à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le très conservateur archevêque de Munich, le cardinal Joseph Ratzinger. Il a présidé cette haute instance de l’Église catholique jusqu’à son élection au siège de Pierre en 2005.

Le Saint-Siège a pris ses distances avec Jean-Bertrand Aristide suite aux événements du début de janvier 1991, la Nonciature a été incendiée, le nonce apostolique, Mgr Giuseppe Leanza, son secrétaire et son chauffeur ont été agressés. À cette même période, la foule de manifestants qui scandait « Aristide ou la mort » a incendié le siège de la Conférence des évêques d’Haïti,ainsi que l’ancienne cathédrale de Port-au-Prince, l’unique monument colonial situé au cœur de la capitale haïtienne. Ces événements et bien d’autres ont terni les relations entre le Saint-Siège et la République d’Haïti.

L’élection du président René Préval en 1995 avait donné au Saint-Siège l’occasion de rétablir les relations diplomatiques avec Haïti rompues pendant la période du coup d’État. La visite qu’il fit au Vatican le 8 juin 1996 témoigne de la volonté des deux États de normaliser leurs relations. Lors de la discussion, le Pape a abordé plusieurs points avec lui, notamment l’élévation de Mgr François Gayot au rang de cardinal. Sachant qu’un tel choix pourrait nuire à sa relation avec le président Aristide, le président Préval n’a pas saisi l’offre du Souverain Pontife. Néanmoins, il a nommé Marc A. Trouillot, à l’époqueambassadeur d’Haïti en France, en qualité d’ambassadeur non-résident auprès du Saint-Siège.

De retour au pouvoir le 7 février 2001, le président Jean-Bertrand Aristide a voulu relancer les relations avec le Saint-Siège sur de nouvelles bases. Il nomme un ambassadeur résident, Carl-Henri Guiteau, à la tête de la mission diplomatique avec siège à Rome. Il aurait pu profiter de la circonstance pour négocier un siège cardinalice pour Haïti en contrepartie. Mais cela n’a pas été le cas. Successivement, les présidents Joseph Michel Martelly et Jovenel Moïse ont effectué des visites officielles au Vatican mais sans contenu politique. Le problème réside dans le fait que les autorités politiques et religieuses haïtiennes ne s’accordent pas sur l’orientation à donner aux relations d’Haïti avec le Saint-Siège. En fait, depuis près de 70 ans, Haïti n’a pas de politique étrangère claire et bien articulée ni avec le Saint-Siège ni avec aucun autre État. Il estvrai qu’avec Cuba et le Venezuela une dynamique de coopération s’est enclenchée sous la présidence de René Préval,mais elle n’a pas été approfondie par les gouvernements successifs.

Certes, le Saint-Siège n’est pas une puissance militaire ni une puissance économique, mais il a une influence remarquable dans les hautes sphères de la politique internationale. Le Saint-Siège a des relations diplomatiques avec plus de 180 pays et bénéficie d’un statut d’observateur permanent auprès de l’Organisation des Nations Unies. Il est un interlocuteur de poids dans les instances internationales. Il bénéficie d’une influence importante qui peut être utile aux pays en voie de développement. De plus, le Vatican dispose d’une diplomatie très active, professionnelle et réputée qui est utile aux pays en voie de développement. Haïti peut développer une coopération fructueuse avec le Vatican sur cette base. Par ailleurs, le Saint-Siège dispose d’un réseau mondial d’institutions dans divers domaines : éducatif, caritatif, hospitalier. Il pouvait et peut encore aider les pays en développement en les soutenant auprès de ses propres institutions et des organismes internationaux. Pour Haïti, une relation étroite avec le Vatican est un atout diplomatique non négligeable. Grâce à sa relation avec le Vatican, Haïti peut obtenir un soutien pour ses structures défaillantes.

De son côté, l’Église catholique peut être un champ fécond avec le Vatican pour remodeler la société haïtienne. En matière éducative, l’Église catholique gère le troisième plus grand réseau d’écoles au monde, après les gouvernements chinois et indien. Haïti peut tisser des liens plus serrés avec les établissements d’enseignement catholique. Il en va de mêmepour l’université. Haïti est membre de la Fédération Internationale des Universités Catholiques (FIUC). C’est un grand réseau universitaire qui pourrait apporter beaucoup à Haïti en termes de formation des cadres, de mobilité étudiante et de la recherche universitaire. En ce qui concerne les soins de santé, le Vatican possède le centre hospitalier le plus performant en Europe pour la pédiatrie. Il s’agit de l’hôpital pédiatrique Bambino Gesù, propriété du Saint-Siège depuis plus d’un siècle. C’est un hôpital d’excellence et de renommée mondiale. Ce sont autant de pistes de coopération possibles avec le Vatican. L’Église haïtienne doit pouvoir s’organiser pour apporter pleinement sa contribution à la société tout en cherchant à vivifier la foi chrétienne en Haïti. C’est une exigence des conditions sociales actuelles. Notre pays a besoin de relancer les mouvements de jeunesse et d’action catholique pour protéger les jeunes, avenir du pays, des séductions néfastes et tentations malsaines. Aujourd’hui, plus que jamais, la société haïtienne a besoin de son Église, qui doit lui apporter la lumière et l’espérance dont elle a besoin pour sa transformation et le progrès spirituel et moral auxquels elle aspire.

Au-delà du prestige spirituel, un siège cardinalice constitue un véritable levier d’influence culturelle, géopolitique et morale, en particulier pour les pays en voie de développement. Pour un clerc, être élevé au rang de prince de l’Église représente un honneur personnel incommensurable. Néanmoins, une telle accession traduit également une reconnaissance internationale du dynamisme ecclésial et de la vitalité pastorale de l’Église locale.

L’obtention d’un siège cardinalice doit être une priorité absolue pour l’État et l’Église d’Haïti. Participer à la gouvernance de l’Église universelle serait pour tous les catholiques d’Haïti, c’est-à-dire la grande majorité de nos concitoyens, une fierté et une reconnaissance de l’enracinement de la foi chrétienne en Haïti depuis plus de cinq siècles. La relation avec le Vatican doit être alimentée et conduite par l’État en accord avec l’Église d’Haïti. Bien que le Saint-Siège ait réduit les interférences des États dans les créations cardinalices en mettant fin aux querelles des investitures et au droit d’exclusive, cela n’empêche pas un État de faire valoir ses prétentions légitimes.

Enfin, faut-il signaler que le corps diplomatique du Saint-Siège est très impliqué dans les activités cultuelles, spirituelles et caritatives du Siège apostolique. Haïti doit nommer des catholiques auprès du Saint-Siège et non des diplomates d’autres croyances. Ils peuvent se sentir gênés de devoir participer àcontrecœur à des cultes pour lesquelles ils ont des désaccords doctrinaux.

En conclusion, Haïti doit s’efforcer d’approfondir la relation avec le Vatican et obtenir pour notre Église un siège cardinalicepermanent. Cela représenterait un capital diplomatique, moral, spirituel et symbolique précieux. Dans le contexte actuel d’Haïti, la voix d’un cardinal peut être bien plus percutante que celle d’un ambassadeur. En ce sens, le pays doit valoriser la présencedu cardinal Chibly Langlois comme une fierté nationale, mais aussi comme un pont entre Haïti et le reste du monde.

Haïti et le Saint-Siège : Une relation à renouveler

Dr. Ricardo Augustin
Professeur d’université

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