Le résultat des récentes élections présidentielles en Bolivie témoigne de l’irresponsabilité, de la faiblesse, voire de l’incompétence politique d’un mouvement de gauche en pleine expansion dans plusieurs pays d’Amérique latine. Ce tournant pourrait également marquer la fin de la révolution bolivienne et du Mouvement vers le socialisme (MAS), né en 2005 avec l’arrivée au « Timon de l’État » d’Evo Morales en 2006 sur la base d’une nette majorité de 53 % des voix qui avaient représenté un modèle d’inspiration pour la classe ouvrière mondiale.
Ce n’est pas un accident de l’histoire. Il s’agit plutôt d’une série de mouvements de gauche qui se contentent de s’emparer du pouvoir pour leur propre satisfaction, mais n’arrivant pas à le conserver, c’est-à-dire à l’organiser davantage en vue de rendre le pouvoir aux travailleurs. La véritable force populaire, celle qui fait avancer et progresser tout pays. Certains de ces dirigeants préfèrent collaborer avec la droite, pions des impérialistes, oubliant complètement que leur objectif était de combattre un projet impérialiste au bénéfice des travailleurs et des paysans.
C’est dans ces jeux de duperie, en organisant des élections pour satisfaire les intérêts impérialistes, que de nombreux pays qui, par le passé, étaient progressivement basculés vers la gauche, finissent par tourner vers la droite réactionnaire au lieu d’avancer. En Haïti, par exemple, les capitalistes ont ruiné le pays et réduit le peuple à la mendicité. Depuis les élections de 1990, tenues sur un discours anti-impérialiste, les dirigeants, après avoir goûté au miel du pouvoir, ont désisté au point d’oublier les critères qui les avaient conduits à gagner le scrutin. Ils ont même perdu le sens commun du slogan mobilisateur : le capitalisme est un péché mortel ! Ils se sont lancés dans des manœuvres de réconciliation avec les forces anti-changement macoutes pour plaire aux Américains, de sorte qu’ils ne perturbent pas leur béatitude. A la recherche d’un compromis acceptable avec les élites économiques, le nouveau régime soutenu par le peuple n’a pas modifié les structures socio-économiques héritées de l’administration duvaliériste. Finalement, l’oligarchie traditionnelle haïtienne, a financé deux coups d’État violents contre les masses laborieuses. Ainsi, l’impérialisme a fini par rétablir son propre régime de droite à la tête du pays.
Aujourd’hui, nous nous dirigeons vers le pire: ce n’est même pas la droite qui a repris le contrôle de l’État, mais l’oligarchie réactionnaire, alliée naturelle des puissances exploiteuses et qui s’organise au péril même de la Nation, pour conserver le trône gouvernemental le plus longtemps possible. Comment les arrêter si l’oligarchie et l’impérialisme sont les principaux responsables de la crise actuelle ? Après tout, ils dominent déjà toutes les forces politiques, manipulant les protagonistes à leur guise. Le plus ridicule est qu’à un moment où la classe politique traditionnelle est en décomposition et déséquilibrée, Washington a rassemblé tous ces pantins au sein d’un soi-disant Conseil Présidentiel de Transition (CPT). Un catalyseur délibérément créé pour les humilier davantage.
Et c’est dans cette dégénérescence que ces parasites réactionnaires, pour défendre leur position et leurs privilèges, ont fini par céder le contrôle du pouvoir politique haïtien au secteur privé des Affaires, cette clique corrompue, antipatriote et irresponsable. Bien que la situation ne soit pas identique en Bolivie, elle illustre néanmoins la faiblesse de la gauche bolivienne. Il y a vingt ans, la révolution bolivienne était une source d’inspiration pour les travailleurs et les masses populaires du monde entier. Grâce à ces mobilisations, les masses pauvres et leurs alliés naturels avaient réussi à paralyser la classe dirigeante bolivienne au point de la rendre impuissante. Tout comme en Bolivie, la crise haïtienne ne peut être résolue par un changement de gouvernement, un nouveau président, un remaniement ministériel, ni même par les nouvelles élections frauduleuses en préparation.
De toute évidence, la classe dirigeante est incapable de répondre aux besoins les plus élémentaires de la population. Il s’agit d’une crise du système, qui ne peut être résolue que par un changement fondamental de la société, c’est-à-dire par une révolution sociale pour redonner le pouvoir aux travailleurs. En Bolivie, les dirigeants de gauche, au lieu de s’organiser pour consolider leur pouvoir face à l’ennemi impérialiste, ont préféré s’engager dans une lutte interne stérile. L’exemple concret est la division au sein du Mouvement vers le socialisme (MAS), entre l’ancien président Evo Morales et son héritier Luis Arce. Il en est résulté un séisme qui a détruit complètement le MAS lorsque cette mouvance présentant deux candidats à la présidence, Andrónico Rodríguez et Eduardo del Castillo, a obtenu seulement 11 % des voix pour les deux. À qui la faute ? Certainement pas au peuple !
Dès qu’un mouvement s’engage sur la voie de la division, c’est toujours l’ennemi qui gagne. Un triste requiem pour la gauche bolivarienne dont l’appareil d’État s’écroule comme un château de cartes. Cela ne nous surprend guère si l’oligarchie bolivienne a pu reprendre l’offensive. C’était prévisible ! Inévitablement, elle prendra le pouvoir, puisque deux de ses laquais politiques l’un aussi corrompu que l’autre, Rodrigo Paz Pereira et Jorge Quiroga Ramírez, sont qualifiés pour le second tour. Que cette défaite électorale de la gauche bolivienne qui malheureusement n’a pas su transformer radicalement la société serve de leçons à tous les gouvernements progressistes de la région qui se préparent à organiser des élections dans le but de plaire aux Américains. Comme le dit si bien la sagesse populaire haïtienne : si les cheveux de votre ami prennent feu, préparez-vous à subir le même sort !