Constitution PHTK-CPT : Dix gouverneurs et un président tout-puissant, une fausse décentralisation pour mieux gérer les ressources minières

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Onze chefs, zéro République : anatomie d’un projet constitutionnel piégé

I. Une architecture institutionnelle qui fragmente sans démocratiser

L’avant-projet de constitution soumis par le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), adossé au Parti Haïtien Tèt Kale (PHTK), le tombeur des fonds de Petro Caribe, propose une structure de gouvernance comprenant dix gouverneurs départementaux élus et un président de la République doté de vastes prérogatives. À première vue, il s’agirait d’une tentative de mise en œuvre du principe de décentralisation affirmé à l’article 61 de la Constitution haïtienne de 1987. Mais ce nouveau texte, loin de corriger les déséquilibres institutionnels, multiplie les centres de pouvoir sans leur associer de mécanismes de contrôle ni de responsabilité effective.

La logique de cette réforme rappelle certains régimes fortement régionalisés d’Amérique latine, comme le Venezuela sous Hugo Chávez, où les gouverneurs des États, bien qu’élus, sont souvent devenus des relais clientélistes du pouvoir central. En République Démocratique du Congo, la constitution de 2006 avait prévu une forme similaire de gouverneurs élus au niveau provincial, mais l’absence de contre-pouvoirs locaux a permis à plusieurs d’entre eux de devenir des figures d’appropriation illicite des ressources minières (cf. Trefon, T. (2011), Gouverner sans l’État ?, Paris, L’Harmattan).

II. Gouverneurs ou potentats ? Le piège de la territorialisation des ressources

Le texte constitutionnel PHTK-CPT prévoit que chaque gouverneur, élu à la tête de son département, aura compétence sur la gestion administrative, budgétaire et économique. Mais aucune disposition ne prévoit un mécanisme robuste de reddition de comptes aux citoyens, ni une autorité indépendante de régulation ou d’audit local. Cette architecture fait écho aux régimes de « territorialisation des rentes » (Bayart, 1990), où chaque zone géographique devient une enclave contrôlée par un acteur politique qui redistribue les ressources selon des logiques clientélistes.

L’avant-projet Fils-Aimé/Laurent Saint-Cyr et le patronnat en mal de déchirer la Constitution de 1987, ne précise pas non plus les conditions de transparence dans la gestion des ressources minières ou les modalités d’exploitation des richesses du sous-sol. Or, dans des départements comme le Nord-Est (Fort-Liberté) ou l’Artibonite, les ressources extractives sont convoitées, et les risques de conflits d’intérêts sont élevés. Le cas du Projet de développement minier de Morne Bossa en Haïti montre déjà l’opacité entourant l’attribution des permis et la captation des bénéfices au détriment des communautés locales (Global Justice Clinic, NYU, Byen Konte Mal Kalkile, 2017).

III. Une irresponsabilité institutionnelle consacrée : analyse de l’article 68-9

L’article 68-9 de ce projet est particulièrement révélateur d’un glissement inquiétant. Il dispose que :

« Le gouverneur ne peut être destitué que pour cause d’incurie ou de malversation avérée. »

Or, ni le terme d’« incurie », ni celui de « malversation avérée » ne sont définis dans le projet. Cette imprécision ouvre la porte à une irresponsabilité de fait. Dans la pratique haïtienne, les mécanismes de mise en accusation n’ont jamais permis de destituer un président ou un ministre. Le refus obstiné du président de la Chambre des députés d’examiner les plaintes contre Jovenel Moïse en 2019 en est l’illustration frappante.

À l’inverse, des constitutions comme celle du Ghana (article 146) ou du Cap-Vert (articles 130-134) établissent des procédures précises de destitution de leurs gouverneurs ou présidents de région, avec une commission indépendante d’enquête, un vote parlementaire à majorité qualifiée, et des recours juridictionnels. Rien de tel dans le projet haïtien taillé sur mesure par des apatridiens.

IV. En cas de vacance : un retour sournois au centralisme

Le projet prévoit que le Conseil des ministres, en cas de vacance d’un poste de gouverneur, en assure l’intérim et saisit le Conseil électoral dans un délai de 90 jours. Cette clause contredit frontalement l’argument d’une gouvernance territoriale autonome. Si le gouverneur est élu localement, pourquoi sa succession devrait-elle dépendre d’un pouvoir centralisé ? C’est un contresens juridique et politique.

L’exemple du Brésil fédéral, où les gouverneurs des États sont élus mais remplacés par leur vice-gouverneur ou par le président de l’assemblée d’État en cas de vacance, montre qu’il est possible de construire une gouvernance décentralisée sans reconcentration de l’exécutif fédéral.

V. Vers une fragmentation oligarchique de l’État

En multipliant les figures de pouvoir, sans garde-fous institutionnels, ni culture démocratique de la responsabilité publique, le projet ne construit pas une République décentralisée, mais un archipel d’intérêts politiques cloisonnés. Chaque département devient le fief potentiel d’un gouverneur sans contre-pouvoir, sans presse libre locale, ni système judiciaire crédible.

Le projet constitutionnel ne répond à aucune des recommandations du rapport du PNUD sur la gouvernance locale en Haïti (2020), qui insistait sur la nécessité d’une autonomie budgétaire encadrée, de mécanismes de contrôle participatif et de cadres clairs de redevabilité citoyenne.

L’avant-projet de constitution du CPT-PHTK de marasa ki vinn kraze peyi a pi plis toujou repose sur une illusion dangereuse : celle d’un pouvoir local qui serait plus proche des citoyens, alors qu’il en éloigne en réalité les leviers de contrôle. La concentration des ressources départementales entre les mains de gouverneurs élus, sans mécanismes de surveillance effectifs, conduit à l’institutionnalisation d’un pouvoir segmenté mais opaque. Au lieu de corriger les dérives centralistes, le texte les reproduit sous une forme plus insidieuse, avec dix nouvelles figures de domination locale, et un président toujours aussi puissant.

Plutôt qu’une réforme constitutionnelle au service de l’État de droit, c’est une refondation oligarchique du pouvoir haïtien qui est en marche – une architecture taillée pour perpétuer l’impunité sous les habits neufs de la gouvernance locale.

cba



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