Haïti : Le CPT et la Primature misent sur l’argent pour faire passer la nouvelle constitution

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Par Reynoldson MOMPOINT

Port-au-Prince, le 20 juin 2025

Pétion-Ville, 10h du matin. Une salle climatisée, des petits-fours rances, des voix monocordes, des visages pleins de fatigue… mais des enveloppes pleines. Voilà le théâtre morbide dans lequel s’écrit l’avenir constitutionnel d’Haïti. Ce n’est plus le peuple qui rédige la loi-mère, c’est le carnet de chèques. Bienvenue dans la République des Pots-de-vin.

Depuis plusieurs semaines, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et la Primature mènent une opération de charme ou plutôt de chantage bien huilé en direction des médias nationaux. À l’heure où la nation est à bout de souffle, le pouvoir par intérim semble convaincu d’une chose : pour faire avaler une nouvelle constitution au peuple, il suffit d’acheter le silence de ceux qui peuvent encore parler. 4 millions de gourdes en liquide par média pour se taire.

Silence Radio payé comptant. Les grandes stations parlent de tout, sauf de ça. Un cyclone constitutionnel en approche, et pas un bulletin d’alerte. Le peuple est laissé dans l’ignorance volontaire, anesthésié par des émissions de variétés, des bulletins météo et des communiqués creux. Ceux qui devraient crier trahison se contentent de diffuser des clips de konpa, pendant que le CPT rédige, dans l’ombre, les contours d’un pouvoir renforcé, sans contrôle, sans équilibre.

Des journalistes frustrés, des employés de rédaction écœurés, ont accepté de parler sous anonymat, évidemment. Car le silence, on l’achète, mais on l’impose aussi. « On nous a demandé de ne pas aborder le sujet, ni d’inviter des constitutionnalistes critiques », confie un rédacteur d’un média en ligne bien connu. On remplace le débat par le deal.

L’application de la stratégie de la peur et du fric. C’est une technique vieille comme la corruption : payer pour faire taire, distribuer pour faire oublier, menacer pour faire plier. Pendant que le peuple est cloué dans la misère et la terreur des gangs, le pouvoir transitionnel manœuvre à huis clos. La constitution n’est pas un acte républicain, mais un coup d’État maquillé en réforme.

Derrière ce projet constitutionnel, il n’y a ni consultations populaires dignes de ce nom, ni participation réelle de la diaspora, ni relecture académique sérieuse. Il y a un cabinet noir, un agenda de prolongation de pouvoir, et surtout une volonté d’étouffer toute opposition par l’achat massif de silences.

Et pendant ce temps, la presse institutionnelle devient une cathédrale du silence. On n’y prêche plus la vérité, on y célèbre les messes d’État, payées en espèces sonnantes et trébuchantes.

Dans un pays où 70 % de la population vit dans l’informel, sans accès direct aux débats législatifs ou constitutionnels, la presse joue un rôle vital. Elle est censée porter la voix du peuple, dénoncer les manœuvres, mettre la lumière sur l’opacité. Mais aujourd’hui, elle devient complice passive. Ou achetée. C’est selon.

Le plus grave, ce n’est pas le CPT. Ce ne sont pas les millions de gourdes. Le plus grave, c’est que des directeurs de médias, des patrons de presse, des éditorialistes ont accepté de se transformer en agents de propagande muette. Des prêtres du mensonge par omission. On ne parle plus, on encaisse. On ne questionne plus, on relaye.

Ils vendent l’objectivité journalistique pour une Constitution sans peuple, un pouvoir sans légitimité. Le projet de nouvelle constitution, qu’on veut faire passer comme une formalité technique, est en fait une tentative de refondation autoritaire sans fondement populaire. Et le prix de cette opération est clair : 4 millions de gourdes le ticket du silence.

L’histoire retiendra peut-être les noms de ceux qui ont signé la constitution. Mais elle retiendra aussi ceux qui se sont tus. Et ceux qui ont été achetés pour se taire.

Le peuple, lui, n’a reçu ni l’information, ni l’argent. Il n’a reçu que l’addition.

Reynoldson MOMPOINT

mompointreynoldson@gmail.com



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