À l’approche du 7 février 2026, Haïti se retrouve face à un choix décisif. Sauveur Pierre Étienne alerte : la transition en cours risque de reproduire les mêmes erreurs du passé. Sans calendrier clair ni consensus national, le pays s’expose à un nouveau vide institutionnel et à une aggravation du chaos.
Dans Matin Débat, le professeur Sauveur Pierre Étienne expose un diagnostic sévère du moment haïtien : batailles de pouvoir au détriment du changement, scénarios institutionnels bricolés à l’approche du 7 février 2026, et risque d’un retour aux « arrangements » qui ont déjà piégé le pays. Au centre, une thèse : sans État fonctionnel et sans règles claires, toute “issue” précipitée aggrave la crise.
Le pouvoir contre le changement
Le professeur rappelle un constat éprouvé : en Haïti, les luttes politiques s’organisent trop souvent pour le pouvoir, non pour la transformation. Dans le camp gouvernemental comme dans l’opposition, les rivalités d’influence l’emportent sur l’agenda public — sécurité, justice, services, élections crédibles. Cette logique, dit-il, nourrit l’immobilisme : on défend des positions, on négocie des postes, on reporte les échéances.
7 février 2026 : la tentation du « plan B »
L’accord qui encadre la transition fixait la fin du mandat au 7 février 2026 et listait des priorités : rétablir la sécurité, réformer le cadre institutionnel, tenir les élections. Rien de tout cela n’est à portée. Dans ce vide, des pistes circulent : prolonger la transition, ou organiser un scrutin présidentiel isolé (sans législatives ni municipales) « pour faire quelque chose » avant l’échéance.
Le professeur souligne les risques : un président élu sans Parlement ni contre-pouvoirs serait faiblement légitime, et le pays replongerait dans la polémique sur la constitutionnalité des actes et la prestation de serment. À l’inverse, un simple prolongement de la transition entérinerait un déficit de résultat, donc de confiance. Entre les deux, un vide institutionnel ouvrirait la porte aux surenchères sécuritaires et aux agendas parallèles.
La paix et la sécurité : ni slogans ni délégation
Au fil de l’échange, surgit un thème transversal aux débats de ces derniers mois : l’usage de la paix comme slogan. Pour Pierre Étienne, la paix ne peut être un paravent : elle suppose des actes vérifiables (dépôt des armes, respect de la loi, protection des vies et des biens) et un État capable d’en être le garant.
Corollaire : on ne sous-traite pas la souveraineté. L’évocation de sociétés de sécurité privées, de dispositifs « rapprochés » ou de médiations opaques rappelle des épisodes passés — où des acteurs extérieurs ont pesé sur des transitions — et leurs effets délétères. L’enseignant met en garde contre la normalisation de ces pratiques : elles déresponsabilisent les institutions, brouillent les lignes de commandement et alimentent la défiance.
Interférences, mémoire et prudence
Le professeur convoque des références historiques (années 1990, départs négociés, rôle d’ambassades, privatisations, embargos) pour illustrer la porosité des moments de crise haïtiens aux influences extérieures. Certaines évocations sont controversées ou reposent sur des témoignages partiels ; elles doivent, à ce titre, être traitées avec prudence.
L’enseignement qu’il en tire reste néanmoins pertinent : lorsque l’État est faible, les décisions structurantes se prennent « ailleurs » — et les acteurs locaux finissent à la fois exécutants et otages de logiques qui ne coïncident pas avec l’intérêt général.
Drogue, armes, frontières : l’angle mort stratégique
Autre point saillant : la sécurité régionale. Le professeur évoque Haïti comme espace de transit (drogue, armes) et re-situe la crise dans un théâtre caribéen où se croisent cartels, routes maritimes et intérêts d’États. Certaines données citées dans l’émission demanderaient des vérifications indépendantes, mais l’alerte est recevable : aucun plan électoral n’est crédible sans une stratégie opérationnelle sur les frontières, les ports, les aéroports et la traçabilité financière.
À défaut, chaque échéance politique devient un moment de vulnérabilité : l’argent sale finance la violence, la violence sabote l’administration du vote, et l’issue contestée justifie de nouveaux « arrangements ».
Ce qu’impliquerait un atterrissage responsable
À rebours des solutions expéditives, la tribune du professeur dessine quatre exigences :
- Un calendrier réaliste et public, adossé à des jalons techniques (sécurité, logistique, contentieux) et pas seulement politiques.
- Une re-légalité minimale : clarifier le fondement constitutionnel de chaque étape (serment, intérim, pouvoirs exceptionnels), pour réduire le contentieux à venir.
- Un pacte de sécurité : prioriser la coopération police–population, des opérations ciblées sur les couloirs stratégiques (ports, axes, dépôts) et un contrôle judiciaire des saisies — condition de la confiance.
- Un engagement de sobriété institutionnelle : pas d’« arrangements » hors droit ; si un compromis est nécessaire, qu’il soit documenté, borné dans le temps et contrôlable.
Ce qu’il faut éviter
- Le président « solitaire » : élire un chef sans corps législatif, c’est fabriquer la prochaine crise.
- La transition perpétuelle : prolonger sans résultats, c’est user la légitimité et accroître la tentation de la force.
- La paix d’affichage : sans justice ni désarmement, elle institutionnalise l’impunité.
- La sous-traitance de la souveraineté : externaliser l’ordre public nourrit dépendance et opacité.
Conclusion : le courage de la procédure
La force de l’intervention de Sauveur Pierre Étienne est de rappeler une évidence qui paraît radicale parce qu’elle est rare : la procédure protège les faibles. En Haïti, le respect du droit, des séquences et des compétences n’est pas du formalisme ; c’est la condition pour que la politique redevienne prévisible, contestable et donc démocratique.
À l’approche de février 2026, le pays n’a pas besoin d’un « coup » astucieux, mais d’un atterrissage lisible : sécurité mesurable, calendrier opposable, institutions réarmées. Faute de quoi, la transition deviendra son propre piège — et le citoyen, une fois encore, son principal otage.
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